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Samuel Delaporte
14 janvier 2019

Le Brésil et les réseaux sociaux

Le moment est immortalisé sur Instagram. Le premier est l’un des fils de Jair Bolsonaro, capitaine de réserve de l’armée et tout nouveau président d’extrême droite du Brésil depuis l’élection de ce dimanche 28 octobre. Le second est l’ancien conseiller stratégique de Donald Trump à la Maison Blanche, déterminé à rassembler tous les populismes fascisants sous une seule et même bannière : la sienne. En légende de la photo, Bolsonaro junior se réjouit d’une conversation stimulante, et assure que les deux larrons « sont assurément en contact pour unir leurs forces contre le marxisme culturel ». Quelques jours plus tard, interrogé par le magazine brésilien Epoca, Eduardo Bolsonaro révèle que l’âme damnée de Trump « souhaite aider » son père, en tête dans les sondages. « Cela n’implique rien de financier, évidemment, précise-t-il [au Brésil, le code électoral interdit le financement par des entreprises, ndlr]. Son soutien consiste en des astuces web, peut-être une analyse, une interprétation de données, des choses de ce genre. » Cet appui stratégique n’est pas anodin : l’homme d’affaires américain siégeait au conseil d’administration de feue Cambridge Analytica, l’officine britannique accusée d’avoir aspiré les données de 87 millions d’utilisateurs de Facebook pour nourrir la campagne de Trump et celle du Brexit. Selon Christopher Wylie, le lanceur d’alerte de Cambridge Analytica, c’est Bannon qui aurait dissuadé les électeurs afro-américains de voter en 2016, en discréditant Hillary Clinton. Les “Bolsominions“ à l’offensive sur WhatsApp Au lendemain de l’élection de Jair Bolsonaro, ses liens avec l’ancien conseiller de Trump restent encore flous. Début octobre, quelques jours après le premier tour, il a nié tout rapprochement. « Fake news », évidemment. Reste l’enchaînement des faits, troublant. Le 18 octobre, la gauche brésilienne a demandé à la justice d’ouvrir une enquête, après les révélations de Folha de S. Paulo : selon le quotidien, le camp Bolsonaro aurait mis sur pied une vaste opération de désinformation sur WhatsApp. En tout, quatre contrats de 12 millions de reais (environ 3,2 millions d’euros) chacun auraient été signés avec des entreprises spécialisées dans l’envoi massif de messages sur l’application de messagerie préférée des Brésiliens. Selon Folha, « l’accord concerne plusieurs centaines de millions de messages ». En réaction, WhatsApp a immédiatement fermé 100 000 comptes associés à ces sociétés, et les partisans de Bolsonaro ont harcelé le journal à l’origine de l’affaire. En quatre jours, un numéro leur appartenant a ainsi reçu 220 000 messages de menaces et de propagande. Comme le rappelle Le Monde, l’application « n’autorise que des conversations de groupe ouvertes à 256 personnes maximum » et « la circulation de l’information sur WhatsApp se retrouve fragmentée, à travers une multitude de groupes ». De quoi atomiser la réclame bolsonariste, propulsée en priorité à trois catégories, selon le Guardian : le « Brésilien ordinaire », le cœur de cible du candidat d’extrême-droite ; les « Bolsominions », ses partisans les plus farouches, très actifs en ligne ; et les « influenceurs », minoritaires mais vitaux. Redoutable dans un pays où WhatsApp est utilisé par 120 millions de personnes, qui s’en servent quotidiennement plutôt que d’envoyer des SMS trop onéreux. Populistes calibrés pour Facebook Face à une telle militarisation de l’information, et parce qu’il a gagné, la tentation est grande de voir Bolsonaro comme un produit inflammable manufacturé par les grandes plateformes (WhatsApp est une propriété de Facebook). Si l’approche est un tantinet déterministe, elle n’est pas complètement fausse. En septembre dernier, une longue enquête de BuzzFeed montrait comment le président philippin Rodrigo Duterte - le plus proche parent de Bolsonaro, politiquement parlant - avait utilisé Facebook pour asseoir son pouvoir. « Duterte a 71 ans, il ne comprend pas vraiment les réseaux sociaux, expliquait Pompee La Viña, le conseiller numérique qui l’a aidé à conquérir la présidence. Mais il nous a transmis un message en nous expliquant qui il était. Il était calibré pour Facebook. » Les souffleurs numériques de Bolsonaro, 63 ans, ne diraient probablement pas autre chose. C’est l’un des principaux enseignements des deux dernières années : les populistes - même si la terminologie est imparfaite - ont su plus que les autres se saisir des outils mis à leur disposition par les réseaux sociaux. Réticentes à jouer les auxiliaires de police, les plateformes au discours apolitique n’ont jamais voulu s’aventurer sur le terrain glissant de la liberté d’expression, laissant leurs algorithmes polariser les opinions publiques. Leur modèle économique - la publicité sans odeur - a fait le reste, et Trump, Duterte ou Bolsonaro ont pu tirer les dividendes de leur rente haineuse, en communiquant directement avec leur base électorale et en piégeant les médias à leur propre jeu (on regrettera longtemps la banalisation de l’expression « fake news »).

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